Poèmes
Nicole Barromé
La danseuse de pierre
L'air résiné embaume encore tes narines.
Es-tu prête ? Tu as mis ta ravissante robe à frous-frous de roches avec ses guirlandes foncées tranchant le rose.
Tu montes vers le ciel, ta tête atrophiée devient bouton, farouche pétale de géranium, aile de papillon.
Là vers le haut où souffle le vent parvenant à ton corps comme un langage de contorsions, le long du buste et des hanches pétrifiés, tu peux être la Belle d'Herculanum arborant la nouvelle danse et te voilà perchée à perpétuité.
Sur ta robe à bastringues, des têtes cyniques réfutent leur condition d'insert dans le cep d'un jeu de vie où l'on part toujours perdant.
Je ne sais rien des seins, beige, marron clair perlé ivoire, petits volcans narguant les arcs des bras, la crinière mouillée autour d'un visage lisse de temps, échappé de sa carrière de tête de mort.
À l'arrière, ta double corolle champignon, ta marine creusée par les algues où les coraux vécurent en vallées, savoir faire de la terre, un bébé sous un pli, sauvé par l'oiseau s'amuse à voler, masse devant.
Fastueuse, la femme à jamais arrêtée dans cet élan déhanché, lascif, savant d'un autre siècle ! Et le châle nonchalant, folklorique peut-être, jeté sur la cambrure enchevêtrée de souches et de couches susurre à la beauté, un cheminement.
Le songe de l'architecte
L'architecte repose sa tête sur le haut de la cheminée. Longiligne, démesuré, il fait corps avec sa construction, l'épouse.
Son visage aux traits béats sourit. Oui, il a réussi, il laissera du bâti pour plusieurs siècles.
Sa toge est faite d'écorces et de ruisseau, son haut de pourpoint cache son cou et par endroit son crâne intelligent. Il a secoué sa manche de tunique dorée pour découvrir sa main blanche comme sa tête chauve, enserre le conduit du poële à la porte ouverte, surmonté de parallélépipèdes dégénérant vers le ciel, bien tenus dans sa main, guidés tel le bustier d'une danseuse.
Dans l'interstice de la cheminée, dans le minime impact causé par la rencontre de l'homme et de sa tour, poitrines de coulées ocre éclairées comme des miels s'écoulant en filet. Sur les étages mouvants de la cheminée, une empreinte fossile, ailes de papillons roses ou épi de blé germé pris d'assaut par une libellule.
Ils ont vécu, ils sont là, absorbés dans le songe de l'architecte
Terre mère
Déméter, jeune verte au visage incertain, porte sur son dos agrippée,
sa jumelle, sa siamoise cuivrée, l'enveloppe de ses bras unique, crinière et queue
afin qu'elle ne glisse, l'organise à occuper son destin de colonne.
L'éternelle conque a ouvert son engeance bleu cuivré aquatique.
Touchant la fesse, s'est immiscé un inconnu violacé, usurpant la nature des vagues
jusqu'à devenir sexe près des parois, vallées embusquées, rites aux concaves.
À son pied, le décombre de coquilles d'huitres,
babillages sur profondeur cavernicole, antique mets de verdeur, mousses sur écumes.
Faisant pendant, imbriqués dans le mental de Déméter,
l'union avec la jument au jarret alangui pesant le fardeau,
la proue de son flanc avalée dans le destin minéral,
stries équilibrées bleues ou vertes, corrosion d'un rêve,
geste tendre d'une contenance brillante et polie,
rareté d'une alliance de genre.
Les voilà, dormant l'une sur l'autre,
consciences invaincues, celle qui divise
et celle qui unit l'ambre du fruit et les petits trous causés par les morsures du vent,
qui surprend et condense, qui suspend et confère écho à l'espace mystérieux du mythe,
êtres confondus à l'élégance élémentaire,
torsades vibrantes, contrefort catapulté d'un pléistocène.
Parfois un fémur de femelle ou de simple animal exhibe ses raies d'organes.
Fusion
L'ange s'est éveillé, il secoue ses ailes engourdies, quelques exercices, un frisson sur la côte de roche où le vert argent partage les cavités d'une queue de pie.
Les stries s'éparpillent en impact telles des gouttes écrasées par la vitesse.
Plus haut la toison procure l'entente de creux, de galbes : deux êtres essaient l'amour des contraires, l'homme et la femme, la femelle et le mâle.
Les corps se mêlent, jambes, fesses reposent sur la terre brute griffée de vents, de temps.
La suite de la création du monde, le sexe en parure défie la pesanteur, s'inscrit dans le crane enfoui d'un autre.
Les ailes de l'ange ont engendré le mouvement de la chevelure de la femme au début des principes de l'union. Voyageur de l'espace, il impose ses mélanges, ses souffles.
